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Archives 1997 © La Revue du Spectacle 17/10/97 - suite et fin

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Gérard Biard - Quand vous avez écrit la scène où un môme de 12 ans fait renifler ses doigts à sa mère alors qu'il vient juste de les retirer du sexe de la maîtresse de son père, est-ce que vous pensiez que ça serait joué sous les ors d'un grand théâtre privé ?
Bertrand Blier - Vous savez, je suis tellement habitué à écrire des trucs comme ça... Mais je me suis aperçu aux répétitions que c'était quand même un peu difficile à mettre en scène, cette affaire-là. C'est vrai que, dans un théâtre, ça prend de l'ampleur. Mais c'est un théâtre populaire, quand même. Ce n'est pas Marigny. Je n'aurais pas accepté qu'on joue à Marigny. Le théâtre de la Porte Saint-Martin, c'est un lieu où on s'imagine que tous les publics peuvent venir.
En fait, ça m'amuse d'amener ce genre de trucs au théâtre. A ma connaissance, je n'ai pas l'impression que ça se fasse beaucoup. J'y vais léger quand même. Mais ce sont des tics. Par exemple, je ne m'étais pas du tout aperçu que j'avais écrit :
"Je veux garder l'enfant" et que la mère répondait : "Prenez l'enfant et barrez-vous, on vous a assez vue". Devant le public, tout d'un coup, ça devient énorme.
Au théâtre, il y a une grande violence physique, les acteurs sont là. Les contemporains aussi, ils peuvent applaudir, gueuler. Tout peut arriver.
Mais c'est marrant, quand j'ai écrit cette pièce, je n'avais pas du tout l'intention de faire de la provocation. Bon, ça m'a amusé de parler de politique et de chiottes. Mais ce n'est pas très méchant.

G. B. - "Libération", qui passe deux pages plus tôt une pub pour "36-15 j'enlève", vous traite de vieux misogyne dans la critique de la pièce. Un petit commentaire sur la misogynie ?
B. B. - Pfff, je n'en parle même plus. Ça fait 25 ans que ça dure, qu'est-ce que vous voulez... Tout ça est en train de changer. On me traite beaucoup moins de misogyne aujourd'hui qu'il y a 20 ans. C'est un tic de journaliste. Mais, dans le public, ça se fait beaucoup moins. Dans la pièce, par exemple, il y a des trucs extrêmement durs pour certains types de femmes. Aucune spectatrice ne m'a encore fait un reproche. Au contraire : elles prennent des baffes, ça rigole. Je suis le premier surpris.

G. B. - Si vous deviez vous définir, diriez-vous que vous êtes un auteur politiquement malpoli, voyou, ou naturel ? Ou les trois ?
B. B. - C'est naturel mais, en même temps, j'en joue. Je m'amuse, je m'en sers. Mais tout ce que j'ai écrit l'a été en fonction d'un climat politique. Je n'aurais pas écrit "Les Valseuses" sous Mitterrand. Je l'ai écrit sous Pompidou, dans le contexte d'une certaine culture, particulièrement gonflante, surtout dans le cinéma. J'ai fait ça exprès, les pieds devant, j'y suis allé à fond. J'avais 30 ans, je me suis dit : ça passe ou ça casse, de toute façon, je ferais plus jamais rien après...
Cette pièce a été écrite après la mort de Mitterrand. Avec Chirac Président. Quand la gauche était au pouvoir, par exemple, on ne pouvait pas taper dessus. Intellectuellement, on avait des difficultés à attaquer certaines personnes.
Et puis, ce qui m'a amusé dans
"Les côtelettes", c'est de prendre systématiquement des partis pris politiquement incorrects. Comme de dire : "Je suis un maghrébin antipathique". Cette scène-là est extrêmement dérangeante sur le plan politique. Personne n'y retrouve son compte. J'avais peur que ça soit pris pour un propos réactionnaire. Il semblerait que non.
Pour répondre à votre question, je suis les trois. Mais ça dépend des époques. Je n'aime pas le culturellement correct. C'est un truc qui me gonfle profondément. C'est très français, ça. On doit écrire comme ça, filmer comme ça. On a ça depuis vingt ans, c'est terriblement chiant. Je ne suis pas près de faire des trucs académiques. Mais si tout le monde faisait des trucs comme moi, je ferais des choses extrêmement chics. J'aimerais beaucoup faire un film chic. Mais il y a encore du travail.

G. B. - Vous êtes vraiment resté en dehors de la mise en scène ?
B. B. - Ça dépend de ce qu'on appelle la mise en scène. Quand l'auteur est vivant, il parle. Je ne voulais pas faire une mise en scène de théâtre. Je n'ai pas cet oeil-là. J'ai demandé à voir Bernard Murat et je l'ai laissé travailler. De temps en temps, j'intervenais mais par rapport au texte, aux acteurs. Mais il a trouvé tout ce qui est scénographie. J'aime bien cette naïveté des apparitions. Moi, je n'aurais jamais osé faire une chose pareille. L'apparition de la mort, de Farida... Lui, il le fait. Et il a raison, il va dans le sens du texte, qui ne se prend pas tellement au sérieux. Ça donne un petit côté mélo que j'aime bien.
Et il y a le problème du regard. Les gens qui viennent au théâtre voient tous une pièce différente, selon l'emplacement où ils se trouvent. Rien à voir avec le regard du cinéma où on est à 27,5 cm de l'acteur et pas à 28. L'autre jour, j'étais à la corbeille, planqué, je voyais mes acteurs très loin. Je préfère ne pas y penser. C'est pour ça que je ne veux pas faire de mise en scène. Ça m'angoisse.
Et puis, j'ai été assez le patron au cinéma, je n'ai pas envie de le redevenir au théâtre.

G. B. - Rassurez-nous, le cinéma, c'est pas fini ?
B. B. - Non, ce n'est pas fini. Mais je pense que ma démarche a été très sage : faire autre chose, aller voir ailleurs. Le cinéma, ce n'est pas un métier. On n'est pas cinéaste de métier, on fait des films. Mais c'est souvent parce qu'on ne peut pas faire autre chose. Si on peut faire autre chose, alors on s'aperçoit que ce n'est peut-être pas indispensable de faire tel ou tel film.
Mais je ne me vois pas arrêtant le cinéma. Ceci dit, je vis très bien sans. J'aurais beaucoup plus de difficulté à vivre sans écrire. Çà je ne peux pas. Lire et écrire, pour moi, c'est très important. Cela dit, je ne crache pas sur le cinéma. Ça a été une grande partie de ma vie, j'ai adoré ça. Mais, comme je suis arrivé à faire ce que je voulais, je suis en harmonie avec moi-même là-dessus.
En ce moment, je fais du théâtre, j'ai un roman en cours d'écriture, c'est vraiment rafraîchissant. Le cinéma ne rend pas très intelligent, je pense. On bute tout le temps sur des impossibilités techniques.

G. B. - Dans "Merci la vie", vous êtes quand même allé assez loin question technique...
B. B. - Oui. Je l'ai fait une fois, j'étais très heureux de le faire. Mais je ne vais pas refaire éternellement des films comme ça. Il n'y a pas soixante films à faire quand on a un monde à raconter. Moi, je raconte toujours les mêmes trucs. Il me reste à faire encore des tas de choses, évidemment. Je n'ai jamais abordé mes souvenirs personnels, sur ma vie, sur mon père. Mais ça, plus on est vieux, mieux ça vaut. Et sous quelle forme ? Est-ce que ce ne sera pas un roman ?
Honnêtement, aujourd'hui, je pourrais m'arrêter de tourner. Mais j'y pensais déjà après
"Tenue de soirée". Et j'ai quand même fait 4 films après. Après "Tenue de soirée", je me suis dit la boucle est bouclée. Des "Valseuses" à "Tenue de soirée", ça forme un tout, je n'ai plus rien à dire. Alors je me suis lancé dans des élucubrations. Puis j'ai laissé tomber. Et j'ai fait "Trop belle pour toi" qui ne m'a pas beaucoup coûté. Et après, je me suis lancé dans ma série titanesque.
Ce qui compte, ce sont le succès ou l'échec. Après des succès, on est amené à se remettre en jeu.
"Tenue de soirée" et "Trop belle pour toi" ont été deux très gros succès. Forcément après, j'ai fait une grosse connerie. J'ai fait le film que tous les metteurs en scène rêvent de réaliser.
Tout comme
"Calmos" a été une erreur, à une certaine époque. J'étais trop jeune. J'aurais mieux fait de le laisser dans un tiroir. Et puis, c'était l'année de la femme. On l'a fait exprès, d'ailleurs. On s'était dit : pour l'année de la femme, on va leur faire un petit truc. Ça a été un flop mais nous on a bien rigolé. Et "Buffet froid"... On en parle aujourd'hui comme d'un film culte. Personne ne dit que quand il est sorti, dans les salles, la moitié des spectateurs voulait se faire rembourser. Il y avait des strapontins qui claquaient. Le film a bien marché, malgré tout, mais je me souviens d'une ambiance très chaude. Genre un peu "Drôle de drame", qui était resté trois jours à l'affiche.
Ce qui fait qu'au bout de 14 fims aussi traumatisants, on a envie d'aller voir ailleurs.

G. B. -
Le théâtre, ça vous repose ?
B. B. - C'est un boulot de roi. Il y a le roman, aussi, mais c'est un travail énorme. Une pièce, c'est pas grand chose. Trois mois de boulot, les répétitions... On n'a pas le temps de s'ennuyer, c'est léger, c'est désinvolte, ça ne coûte pas cher comparé au cinéma.
L'avantage du théâtre, c'est qu'on peut se moquer de la société en direct. Au cinéma, on a toujours peur que ça se démode. On se dit : dans dix ans, tout le monde s'en foutra. Au théâtre, c'est de l'immédiat, on n'a pas peur. Je m'aperçois que toutes les histoires que j'ai en réserve feraient de très bonnes pièces. Il n'y a que l'écriture pure qui soit encore plus forte. Là, on est tout seul.

G. B. - La première phrase de votre prochain bouquin ?
B. B. - Ah non, je ne vais pas vous dire la première phrase !

G. B. - Dommage, j'adore les premières phrases...
B. B. - Moi aussi. J'ai une citation en tête, mais je ne sais plus qui en est l'auteur : les mots d'abord, le sens après. La première phrase, on écrit le bouquin à cause d'elle. Au théâtre aussi.
L'expérience du cinéma m'a servi pour le théâtre. Michel Bouquet me disait l'autre jour :
"Je ne comprends pas que vous arriviez à faire rire en trois minutes". La pièce commence, et au bout de deux minutes et demie, il y a une connerie et les gens se marrent. C'est l'habitude du cinéma, il faut que ça attaque tout de suite. Chaque discipline enrichit l'autre. Le cinéma enrichit beaucoup l'écriture romanesque, par exemple. Les Américains le savent depuis longtemps.

G. B. - La réplique sur Le Pen a l'air de venir comme quelque chose de vital, qu'il faut absolument dire...
B. B. - Oui. Quand on se moque des gens de gauche, il faut bien prendre soin de préciser où on se situe. C'est comme pour le curé. Les gens croient peut-être que je fais venir un curé pour me marrer. Bien sûr, c'est aussi pour me marrer. Mais quand on parle de la mort, on ne peut pas ne pas avoir un prêtre. Il ne reste pas longtemps, d'ailleurs, il n'est pas dérangeant. Il prend dans les dents sa réplique sur les capotes - c'est toujours bon à dire - et il est viré.
C'est vrai, ils m'ont énervé avec le Pape, là... Il y avait une cantine au coin de ma rue. C'est très envahissant.
FIN
Gérard Biard © Charlie Hebdo/La Revue du Spectacle 10/97
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Droits réservés pour tous pays 10/10/97.